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La violence comme mode de régulation politique : la Caso et les mobilisations étudiantes dans le Niger des années 1990

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Image courtesy Politique Africaine

SMIRNOVA – La violence comme mode de régulation politique : la Caso et les mobilisations étudiantes dans le Niger des années 1990

Tatiana Smirnova, Camille Noûs

Article first published online: 26 JUN 2020 Politique Africaine

DOI: 10.3917/polaf.157.0223

ABSTRACT:

« La Caso, c’est une structure assez répressive.Quand le gars s’entête, la Caso le bastonnait à la limite !Oui, oui ! À la limite, la Caso à l’époque !Au pire des cas, on peut même violenter la personne pour qu’elle accepte ce qu’elle accepte.»

Ces propos sont extraits d’un entretien réalisé en 2008 avec l’un des responsables du mouvement étudiant au Niger. Elles décrivent un aspect du fonctionnement de la Commission des affaires sociales et de l’ordre (Caso), une structure de l’Union des étudiants de l’université de Niamey (UENUN), elle-même rattachée à l’Union des scolaires nigériens (USN) qui fédère alors les syndicats étudiants, lycéens et collégiens dans le pays. Dans les années 1990 et au début des années 2000, la Caso a officieusement cogéré l’attribution des œuvres universitaires, tels que la restauration, le logement ou le transport. De telles pratiques font de prime abord penser à la « politique du ventre », comme système de distribution des ressources fondé sur un système de prébendes. Cependant, la Caso a été bien plus que cela, jouant également, dès son origine, un rôle central dans les mobilisations étudiantes. L’autre grande fonction de la Caso consistait en effet à encadrer des manifestations, à préparer des cocktails Molotov en vue d’éventuelles casses et à gérer l’ordre sur le campus parmi les étudiants. Cette fonction lui a valu une image de violence largement dénoncée dans une partie de la presse nigérienne. Sans minimiser cette violence, il s’agira ici de montrer son rôle structurant en matière de régulation politique au Niger dans les années 1990. Je m’inscrirai à la suite de travaux précédents qui, plutôt que d’analyser les affrontements entre étudiants et forces de l’ordre en termes de dysfonctionnement du système académique, ont montré en quoi la contestation, y compris sous une forme violente, représentait une partie constitutive de l’action publique dans le domaine de l’enseignement supérieur au Niger.

En se focalisant sur la Caso, ce texte nuance et approfondit cette approche. Son ambition est d’attirer l’attention sur la nécessité de dépasser une distinction schématique entre action publique et contestation (responsables et relationnelles) d’un côté, et violence (irrationnelle) de l’autre, comme si le premier aspect relevait du normal et le second du pathologique. En effet, dans de nombreux travaux s’inspirant de la « contentious politics », la contestation est appréhendée en termes de réaction à la politique publique. De tels travaux font une séparation analytique entre les acteurs qui participent à la politique institutionnelle (les « insiders ») et ceux qui en sont exclus et en revendiquent l’accès (les « policy outsiders »). Cette perspective tend à se focaliser sur les pratiques violentes comme modes d’action des contestataires et donc à soulever la question de la « légitimité » et des « limites » de la violence utilisée par les mouvements sociaux, sans vraiment questionner la violence de l’État. À l’inverse, les approches interactionnistes montrent que les mouvements sociaux se développent dans un environnement multi-institutionnel composé d’entités potentiellement en contradiction les unes avec les autres et non pas dans une configuration où l’État joue un rôle central. De telles lectures, extrêmement fructueuses pour montrer la complexité de la coproduction de l’action publique – et en particulier la part des mobilisations dans cette coproduction – laissent cependant souvent en marge de leur analyse les formes d’action collective les plus violentes.

En laissant la question de la violence de côté, comme si celle-ci relevait uniquement de pulsions irrationnelles et spontanées – et donc impossibles à comprendre –, l’on risque de la réduire à un phénomène pathologique, en s’alignant ainsi sur les traitements médiatiques des mouvements sociaux au Niger comme ailleurs, par exemple récemment en France. Les images de voitures brûlées, de vitrines cassées – tout comme celle des militants gravement blessés, tête ensanglantée – nourrissent ce registre narratif de la violence « compulsive ». Or la réduire uniquement à l’irrationnel (appréhendé souvent en termes de « bavures des forces de l’ordre » ou de « casse par des radicaux ») pose le problème de la responsabilité sociale des acteurs et des dispositifs qui sont porteurs de cette violence. Dans la lignée d’approches développées par certains travaux fondateurs sur la violence, je m’attacherai ici à explorer cette question de la responsabilité et des limites de la violence, en montrant que celle-ci est un phénomène routinier, profondément inscrit dans l’historicité de l’État nigérien et qui a contribué à une certaine régulation politique de l’enseignement supérieur dans ce pays.

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